Lettre ouverte à monsieur le premier ministre

Mâcon le 20 février 2024

Monsieur le Premier Ministre,

La conférence nationale du handicap du 26 avril 2023 a affirmé une ambition majeure :« cesser d’enfermer les personnes handicapées dans des dispositifs et des parcours spécifiques et rendre l’environnement professionnel de droit commun totalement accessible, quel que soit le handicap ».

Mais la loi Plein Emploi adoptée en décembre 2023 par le parlement ne change pas le statut d’usager des personnes handicapées qui travaillent en ESAT et qui dépendent toujours du Code de l’Action Sociale et des Familles et non du Code du travail. Ce qui est vécu par beaucoup de ces personnes comme une grave discrimination et une non-reconnaissance de leur travail.

En droit du travail, trois notions principales déterminent la qualité de salariée ou de salarié : le contrat de travail, la rémunération et le lien de subordination. Ces critères doivent s’appliquer à toutes les personnes qui travaillent en ESAT. Maintenir ces personnes dans la seule mouvance de l’action médico-sociale est contradictoire à l‘objectif recherché : « Chacun est présumé pouvoir travailler en milieu ordinaire ». Les ESAT devraient permettre aux personnes sous statut d’usagers, qui le peuvent ou le souhaitent, par un accompagnement adapté de s’insérer dans le milieu ordinaire du travail ou en entreprises adaptées. Ces mesures doivent leurs permettre d’accéder à un parcours professionnel. Le Code du travail prévoit déjà des cadres juridiques particuliers dans lesquels les salariées bénéficient à la fois des mêmes droits que les autres et de dispositions protectrices particulières comme dans les entreprises d’insertion, les entreprises adaptées, les salariées et salariés de l’intérim. Nous ne comprenons pas pourquoi le Gouvernement a refusé systématiquement et sans débat, lors de la discussion de la loi Plein emploi, à l’Assemblée nationale, tous les amendements allant dans ce sens.

En ESAT, les travailleuses et travailleurs sont soumis à l’autorité de l’association qui les emploie. Ils ont une production à assurer et travaillent 35 heures avec une rémunération mensuelle directe moyenne de 350€ !

  • Quel accès aux formations qualifiantes de droit commun ?
  • Quel accès à un emploi librement choisi en milieu ordinaire ?
  • Quels moyens humains, techniques et financiers seront mis en œuvre en ce sens ?

Nous constatons qu’aujourd’hui très peu de travailleurs et travailleuses handicapées en ESAT rejoignent le milieu ordinaire malgré les mesures d’accompagnement et de formation mises en place.

Les avancées votées comme le droit de se syndiquer ou de faire grève, la mutuelle collective ou la prise en charge partielle des frais de transports ne changent pas fondamentalement le statut d’usager des personnes handicapées des ESAT. Il est temps d’en finir avec le statut d’usager et de leur accorder les mêmes droits qu’à toutes les personnes qui travaillent sous le statut de salarié de ce pays. Ce qui est la réalité dans bon nombre de pays européens. Nous vous rappelons que la loi du 11 février 2005 s’intitule :

« Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

Au niveau international, cette position sur les ESAT démontre que la France continue à ne pas se conformer à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées de 2006 qu’elle a signée en 2009. Lors de son audition de 2021, le Comité des droits des personnes handicapées regrette que la France n’ait pas encore intégré l’approche du handicap fondée sur les droits humains. Le Comité a en particulier posé la question à la France sur : Les mesures politiques et législatives prises pour promouvoir l’accès des personnes handicapées à l’emploi sur le marché général du travail, notamment en favorisant le passage des lieux de travail « protégés » séparés du marché du travail général ; Les mesures prises pour prévenir la discrimination et l’exploitation des personnes handicapées dans le domaine de l’emploi et pour garantir leurs droits professionnels, syndicaux et salariaux. Le refus de passer du statut d’usager en statut de salarié en est un exemple.

Au niveau européen, la France a été épinglée par le Comité européen des droits sociaux (CEDS), institution du Conseil de l’Europe, qui a rendu publique le 17 avril 2023 une décision dénonçant les manquements de la France concernant les personnes handicapées qui a pour objectif de mettre l’État face à ses responsabilités, notamment pour « développer et adopter une politique coordonnée pour l’intégration sociale et la participation à la vie de la communauté des personnes handicapées. »

Convaincu.es de l’intérêt que vous porterez à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre plus haute considération.

Les signataires :

  • François COUTURIER A.M.I Association nationale de défense des Malades Invalides et handicapés
  • Chantal RIALIN F.D.F.A Femmes pour le Dire Femmes pour Agir
  • Marie RABATEL Association Francophone des Femmes Autistes
  • Manuel BERNARDO F.M.H Fédération des Malades et Handicapés
  • Patrick BAUDOIN L.D.H Ligue des Droits de l’Homme
  • Céline PERDREAU Association Les Dévalideuses
  • Jimmy BEHAGUE La Neurodiversté France CORNELOUP CLE Autistes
  • Sophie BINET C.G.T Confédération Générale du Travail
  • Benoît TESTE F.S.U Fédération Syndicale Unitaire
  • Julie FERRUA Union Syndicale Solidaires
  • Charles Olivier PONS Union Syndicale de la Psychiatrie
  • Christophe LOGEZ A.C.O ESAT des Vosges avec le soutien de l’Action Catholique Ouvrière nationale